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Résister avec Stéphane Hessel, c’est créer. Et créer, c’est résister.

Stéphane Hessel s’est engagé dans toutes les grandes causes humanistes. Il fut notamment un compagnon de route fidèle de la Ligue de l’enseignement, un des fondateurs des Cercles Condorcet. Véronique de Keyser, présidente du Centre d’Action laïque, professeur émérite de l’Université de Liège, ancienne députée européenne (2001-2014) a partagé nombre de combats avec lui. Elle témoigne aujourd’hui: 

“J’ai rencontré Stéphane Hessel en 2004, à un débat où nous intervenions tous deux sur la paix au Moyen Orient, au mémorial de Caen.  Il était accompagné de son épouse.  Il était mondialement connu et moi, je n’avais guère de réalisations à mon actif dont il n’ait vite fait le tour. Je devais être pour lui totalement inintéressante. Universitaire et députée européenne depuis 2001, je n’avais pas encore dirigé la mission électorale de l’UE en Palestine en 2005 – laquelle avait vu reconnu la victoire du Hamas. Mais la paix et le droit et la justice au Moyen Orient étaient mes obsessions. Celles de Stéphane aussi. Et ce sont ces questions qui ont cimenté notre amitié laquelle a duré jusqu’à sa mort.  Et au-delà.  

Je me suis rendue chez lui à la mi-février 2013, pour enregistrer la fin du livre que nous avions décidé de publier ensemble chez Fayard “Palestine, la trahison européenne.  Il m’a accueillie assis dans son fauteuil et en pantoufles, avec un sourire malicieux et un ‘Je sais que ce n’est pas ainsi qu’on reçoit une dame !’ J’ai enregistré ce qu’il voulait encore compléter dans l’ouvrage et il m’a laissé le soin de chercher encore des témoignages de jeunes- Nous n’avons pas assez de jeunes dans ce livre, Véronique.  Nous devons toucher les jeunes !. Il est mort une dizaine de jours plus tard.  J’ai assisté à ses funérailles nationales aux Invalides, accompagnée de Leila Chahid. L’éloge du Président Hollande se déroulait sans incident, jusqu’à une petite phrase glissée en incise dans son discours où il disait se distancier de la position de Stéphane Hessel sur la question palestinienne. Leila et moi avons échangé un regard plein de tristesse et de colère : Lui aussi ?  Aux Invalides ! Le minimum eut été de ne rien dire.

Lorsqu’Hannah Arendt est allée pour la première fois en Palestine durant la guerre, car elle travaillait à Paris dans une association sioniste, elle s’inquiétait déjà des rapports futurs entre les Juifs et les Arabes : quelle forme d’Etat, quelle paix ? Et elle aussi s’est fait traiter d’antisémite. L’obsession du droit international et de la Justice de Stéphane Hessel provoquait la même incompréhension.  L’universalisme humaniste qu’il défendait était vu par certains nationalistes comme un antisémitisme déguisé. Et pourtant aujourd’hui, en Israël, les citoyens défilent dans les rues.  Ils s’inquiètent de la trahison des idéaux démocratiques qui avaient présidé à la création du pays. L’histoire bégaie, décidément.

L’avant- propos du livre est la partie enregistrée juste avant sa mort.  Il y redit son amour d’Israël et sa foi dans l’ONU “Car c’est l’ONU qui a été à la base de la création d’Israël, lui, donnant des droits et des responsabilités.  Et c’est à travers l’ONU que nous devons comprendre la Palestine.(…) Moi qui suis plus âgé que Véronique et ai vécu tous ces événements, je suis exactement dans le même état d’esprit que lorsqu’Israël a été créé.  Je reste attaché au droit international : je n’ai pas changé.  J’étais à New-York à cette époque et je travaillais aux Nations Unies.  Elles essayaient de trouver une formule qui apporterait une réponse au drame que nous Juifs , venions de vivre. Ce qui nous animait était très fort. Nous avions vécu la destruction totale, la Shoah. (..) Nous nous disions : les Juifs du monde entier ont enfin le droit d’avoir un Etat, ce qu’ils n’ont pas eu pendant 2000 ans. (…) Nous pensions alors que cet Etat serait un Etat pour les Juifs et que par conséquent, il fallait qu’il y ait à côté de cela un autre Etat pour les Arabes.’(p 9-11) Hessel était pour la solution à deux Etats.  Mais il les voyait tous les deux laïques et affirmait : “Quant à la laïcité de ces Etats, elle est centrale.  Il ne fut pas croire que la laïcité européenne soit la conquête des Etats modernes- le traité de Westphalie date de 1648.  Nous pensons généralement que  c’est un problème particulier pour l’Islam et nous avons tendance à considérer l’Islam comme une religion et une politique.  Nous n’imaginons pas facilement des Etats qui soient à la fois musulmans et laiques.  Nous avons tort’ (p.13) Et Stéphane Hessel de donner l’exemple de l’Indonésie et de s’interroger sur l’évolution des pays du Maghreb, après les printemps arabes.

Jusqu’à sa mort, Stéphane Hessel n’a cessé de défendre un modèle de paix universel – au Moyen Orient comme partout dans le monde- s’appuyant sur le droit international, la démocratie des Etats, et leur laïcité- et considérant les religions comme de l’ordre du privé.   C’était son testament.  Dix ans après sa mort, son message est toujours le même.  Mais nous mesurons à quel point la trajectoire du monde s’en est éloignée et prend une toute autre direction.  Alors aurait dit Stéphane ’Indignez-vous !” (Indigène Editions).  Alors aurait dit ce grand résistant engagé dans le Conseil de la Résistance- “Engagez-vous !” (Hessel,S. & Vanderpooten, Engagez-vous. 2011. L’Aube). Et il termine d’ailleurs Indignez-vous par ce message : ‘A ceux et celles qui feront le XXIème siècle, nous disons avec notre affection : Créer, c’est résister.  Résister, c’est créer ‘. Reçu 5 sur 5, cher Stéphane”.

Véronique de Keyser