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Abattage rituel: la dérogation est largement dépassée, l’information aux consommateurs inexistante

La diversité culturelle humaine se manifeste particulièrement dans la diversité culinaire. C’est une richesse indéniable au sein de chaque peuple et l’occasion d’échanges multiples. Il va de soi que chacun se nourrit comme il l’entend. C’est une liberté élémentaire mais décisive. Pourtant des polémiques où la confusion le dispute aux arrière-pensées politiques se multiplient, surtout sur le halal tout en basculant parfois sur le casher.

Pour les juifs et les musulmans pratiquants, les notions de pureté et d’impureté sont centrales. Les interdits alimentaires jouent un rôle décisif. Les identités culturelles juives et musulmanes sont définies notamment par ces prescriptions. De plus la maîtrise et le contrôle de la pureté des aliments sont une source de pouvoir interne et une ressource financière importante.

Trois questions se posent à l’ensemble de la société. D’abord celle du financement de ces filières halal et casher via la taxe de certification. Ensuite celle de la dérogation du droit commun autorisant l’abattage rituel. Enfin celle de l’information des personnes suivant d’autres philosophies ou religions qui ne peuvent pas se voir imposer subrepticement ces tabous alimentaires.

La taxe de certification

Des représentants des cultes se chargent des procédures d’exécution, de certification, de contrôle des produits et des procédures des abattoirs jusque dans les commerces et les restaurants. En France le Consistoire de Paris joue le rôle principal. Son tribunal, le « Beth Din », appose son label KBDP (Casher Beth Din de Paris). Depuis les années 90, la grande mosquée de Paris, la mosquée d’Évry et la mosquée de Lyon sont agréées pour habiliter des sacrificateurs. Des organismes de certification se sont créés et se sont multipliés.

La question de la  taxe rétribuant la certification est posée. Son montant varie de 0,10 € et 1 € par kilo. La certification casher, ayant mis sur pied une organisation importante, est plus coûteuse. Le montant global de cette redevance versée par les abattoirs aux organismes de certification (halal et casher confondus) approcherait des 50 millions d’euros par an. Elle constitue la moitié du budget du Consistoire de Paris. Elle est très diversement répartie entre les divers organismes de certification musulmans. Sa perception est devenue un enjeu de pouvoir.

Cette taxe fait problème pour les collectivités locales et les associations laïques.  Elles ont en conséquence élaboré une organisation de la restauration collective ouverte à tous grâce à la diversité des menus. Cette organisation respecte le principe laïque de non subventionnement des cultes, par obligation légale pour les premières, par choix  politique voire philosophique pour les secondes. Elles ne recourent donc pas aux produits des filières halal et casher pour ne pas financer un culte. La Ligue française de l’enseignement a rédigé un guide pratique sur ce sujet : https://laligue.org/guide-laicite-et-restauration-collective-des-enfants-et-des-jeunes/

Abattage rituel : une dérogation outrepassée

Quelle est la réglementation applicable ? En Suède, au Danemark, en Norvège, en Suisse, au Lettonie, en Islande…  et depuis peu en Flandre et en Wallonie, l’étourdissement est une obligation générale. La Cour de justice de l’UE (CJUE) a jugé en décembre 2020 que l’obligation d’étourdissement ne « méconnaît pas » la liberté des croyants juifs et musulmans. La réglementation de l’Union Européenne reprend cette obligation, tout en accordant une dérogation pour l’abattage rituel. Les mêmes dispositions (obligation d’étourdissement avec dérogation) existent en France, inscrites dans l’article R 214-70 et les suivants du Code rural. La dérogation accordée est devenue disproportionnée : la proportion d’animaux abattus sans étourdissement excède très largement la consommation des seuls musulmans et juifs.

Cet état de fait est reconnu par le Comité permanent de coordination des inspections (COPERCI) en 2005. Alors que la consommation religieuse est évaluée à 7 % de la production, ce sont 80 % des ovins, 20 % des bovins et 20 % des volailles qui sont abattus sans étourdissement. Ce calcul est confirmé à deux reprises. Par une enquête du Ministère de l’Agriculture effectuée en 2007 qui fait état d’une proportion globale de 32 % d’animaux abattus de la même façon dans toute la France. Et selon un audit confidentiel rédigé par des experts du Ministère de l’Agriculture remis en novembre 2011. Rendu public par l’hebdomadaire « Le Point » le 07 Mars 2012, il constate que 40% des bovins, 58% des ovins, 26% des veaux et 22% des caprins sont abattus sans étourdissement, soit 51% des animaux dans les abattoirs sur lesquels portait ce rapport.

La dérogation tend à devenir la règle. Un décret n° 2011-2006 du 28 décembre 2011 et son arrêté d’application avaient fixé les conditions d’autorisation des établissements d’abattage à déroger à l’obligation d’étourdissement des animaux. Ces dispositions imposant que ces abattoirs doivent mettre en place un système d’enregistrement permettant de vérifier que l’usage de la dérogation correspond à des commandes commerciales qui le nécessitent, c’est-à-dire pour des consommateurs pratiquant l’une des deux religions concernées par l’abattage rituel. Nous en sommes loin…

L’information des citoyens et des consommateurs

Cette généralisation de l’abattage sans étourdissement s’accompagne d’un refus d’information. A l’initiative de l’Œuvre d’Assistance  aux Bêtes d’Abattoir (OABA) https://oaba.fr/ , huit organisations de protection des animaux se sont réunies pour lancer une campagne d’information et exiger un étiquetage. A l’image des actions du Collectif « Ethique sur étiquette » en faveur du respect des droits humains, ces associations veulent une information des consommateurs. Ceux-ci sont des citoyens qui ont le droit  de choisir la viande qu’ils consomment en connaissance de cause.

A ce jour  les étiquettes des viandes bovines et ovines peuvent comporter le nom du morceau, le  poids, le prix au kilo, le prix net, la date d’emballage, la date limite de consommation, le numéro de lot, le lieu d’abattage, le numéro d’agrément de l’établissement de découpe, le lieu de naissance, le lieu d’élevage. Mais toujours pas le mode d’abattage. Une simple mention est demandée, grâce à une lettre : « T » ou « R ». La première signifiant « abattage traditionnel », informant que la viande provient d’animaux abattus avec étourdissement. La seconde signifiant « abattage religieux », informant que les animaux ont été abattus sans étourdissement. Ce droit à la transparence fait partie de la liberté de conscience de chacun d’entre nous. 

La Ligue française de l’enseignement anime une édition « Laïcité » sur le journal en ligne « Médiapart ». https://blogs.mediapart.fr/edition/laicite

Un article détaillé reprend le thème « Alimentation et laïcité » et propose de nombreux documentshttps://blogs.mediapart.fr/edition/laicite/article/221021/alimentation-et-laicite