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Un panorama des communautarismes politico-religieux en France

Six ouvrages récents nous permettent de dresser un panorama des réaffirmations identitaires politico-ethnico-religieuses catholiques, musulmanes et juives en France.

Ces travaux décrivent des réalités. Mais ils ne donnent évidemment pas un tableau complet des groupes humains étudiés. Au sein de chaque groupe, les personnes vivant paisiblement leurs convictions sont massivement représentées. Ce sont des minorités actives plus ou moins influentes qui sont décrites. De même, il serait absurde de mettre un signe d’équivalence entre ces divers groupes humains dont l’histoire, la composition, l’évolution, l’impact politique et culturel sont différents. Les identités peuvent être cultuelles, mais aussi culturelles, politiques, ethniques, sociales… Et mêlent souvent plusieurs de ces dimensions. Les livres présentés ci-dessous se caractérisent par le nombre important de données factuelles qu’ils proposent. C’est leur principal intérêt. Leurs analyses ont pu être approuvées ou discutées par ailleurs. De même nous avons laissé de côté, pour l’instant, les choix de vocabulaire. Quel est le terme le plus pertinent : séparatisme, communautarisme, radicalisation, cléricalisme… ? Nous y reviendrons.

A la droite de Dieu. Jérôme Fourquet. Lexio. Editions du Cerf

Que deviennent les catholiques de France ? Parallèlement à un vaste mouvement associatif engagé dans le social, et maintenant l’écologie, se déploie une autre logique. Celle d’une réaffirmation identitaire à la fois fermée et offensive. Elle est l’objet d’une étude de Jérôme Fourquet, significativement intitulée « A la droite de Dieu ». Cette étude rappelle d’abord la considérable érosion démographique du monde catholique pratiquant : baptêmes, mariages, obsèques, assistance à la messe dominicale… sont en chute libre. Puis est analysé ce que le politologue Gaël Brustier a appelé « Le Mai 68 des conservateurs » (Editions du Cerf). A la surprise générale, les activistes catholiques conservateurs ont réussi à mobiliser dans la rue des centaines de milliers de personnes contre sur la loi sur le mariage pour tous, qui a ouvert de nouveaux droits pour le mariage, l’adoption et la succession. Les cortèges bleus et roses de la Manif pour tous sont accompagnés de la création d’une série d’associations. « Sens commun », la plus connue, s’investit dans l’UMP (devenue Les Républicains). Les associations et collectifs anti-IVG retrouvent des couleurs. Les troupes se remobiliseront contre la Procréation médicalement assistée (PMA) sans père et contre la Gestation pour autrui (GPA). Le droit à la PMA pour les couples de lesbiennes et aux femmes célibataires sera voté. La GPA reste contestée dans tous les milieux. Ce mouvement a marqué par son ampleur. Sa capacité mobilisatrice l’a inscrit dans la durée. Une frange du catholicisme s’est culturellement redynamisée.

Cette réaffirmation/remobilisation est nourrie par l’inquiétude face à la progression de l’islam. Les églises se vident alors que les mosquées se construisent. L’esprit d’accueil des migrants, recommandé par le pape François, est diversement accepté. Deux livres présentent les positions: « Eglise et immigration. Le grand malaise » (Presses de la Renaissance) de Laurent Dandrieu et « Identitaire. Le mauvais génie du christianisme » (Editions du Cerf) d’Erwan Le Morhedec. Mais c’est surtout l’assassinat de Jacques Hamel, prêtre âgé de 86 ans, dans son église de Saint-Etienne-du-Rouvray en 2016, qui a marqué les esprits. L’ancienne solidarité avec les chrétiens d’Orient tend à être investie par la droite catholique. En revanche le passage au politique est un échec même si le vote catholique pèse parfois. L’épisode du soutien à François Fillon aux primaires de la droite en 2016 est détaillé. Le candidat était très bien perçu du point de vue de l’éthique traditionnelle catholique avant le « Pénélopegate ». Les catholiques restent toujours ancrés à droite mais sont peu attirés par les candidatures expressément chrétiennes telles que celles de Christine Boutin ou de Jean-Frédéric Poisson.

Bernard Rougier. Les territoires conquis de l’islamisme PUF

La profusion de livres, de qualité diverse, sur le désormais dénommé séparatisme islamiste rend délicate la sélection. L’intérêt de l’ouvrage coordonné par Bernard Rougier est dû au fait qu’il est presque entièrement consacré à la description de situations et de territoires spécifiques. Sont ainsi mobilisés une douzaine d’auteurs, pour la plupart étudiants au Centre d’Etudes Arabes et Orientales de l’université de la Sorbonne Nouvelle et de la Chaire Moyen-Orient/Méditerranée de l’Ecole Normale Supérieure. Le coordinateur souligne qu’ils sont en majorité des Français d’origine maghrébine ou subsaharienne. Bernard Rougier présente les réseaux religieux venus d’Orient en Europe : Frères musulmans, Tabligh, salafisme et jihadisme. Leurs luttes pour les prééminences locales s’effaçant face aux « menaces » que seraient la laïcité et le féminisme. Les termes « écosystèmes islamistes » et « écosystèmes islamiques » sont utilisés dans les contributions. Renvoyant à la distinction entre militantisme (parfois guerrier) et piétisme (plus paisible mais fermé). Sont ainsi décrites des villes comme Aubervilliers, Argenteuil et les salafistes, Molenbeek, le Val de Marne sous influence yéménite, le Tabligh en Ile de France, les livres confessionnels en français, les jeunes femmes de la prison de Fleury-Mérogis, le lien entre criminalité et terrorisme… Le chapitre consacré à la fabrication sociale du jihadisme à Toulouse est rédigé par Hugo Micheron dont le livre « Le jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons » (Editions Gallimard) a eu un fort écho. Il apparaît que les origines des phénomènes décrits sont autant locales que directement inspirées par les influeces étrangères. Un chapitre d’une trentaine de pages, dû à Pierre-François Mansour, traite d’un sujet rarement abordé : celui des relations chaotiques entre les mouvances musulmanes pratiquantes et les militants décoloniaux.

Radicalités identitairesSous la direction de Manuel Boucher. L’Harmattan.

Cet ouvrage collectif est issu d’un travail sur le thème « Fractures identitaires, radicalités et interventions sociales. Acteurs et processus de radicalisation/contre-radicalisation ». Il est coordonné par Manuel Boucher, auteur notamment de « La laïcité à l’épreuve des identités » (L’Harmattan) et de « La gauche et la race » (L’Harmattan). La définition du processus de radicalisation est inspirée par Hugo Micheron. Pour celui-ci, il s’agit de l’entrée dans le « salafo-jihadisme » qui « ne se réduit pas à l’expression d’un puritanisme individuel. Cette doctrine est porteuse d’une espérance universelle : le retour de l’âge d’or des premiers temps de l’islam… Elle invoque le passé idéalisé pour détruire le présent, en vue d’un autre avenir ». C’est d’abord l’action publique qui est interrogée. Quatre contributions traitent des parcours de radicalisés, de la question sociale, de la politique publique de prévention de la radicalisation et de l’administration sociale. La prévention par l’action sociale est détaillée : ambivalence des acteurs sociaux, protection des mineurs et surexposition des jeunes majeurs, représentations et réalités socioprofessionnelles des travailleurs sociaux de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), politiques municipales et territoriales… En contrepoint, deux contributions portent sur des organisations franco-nationalistes radicales : le Groupement Union Défense (GUD) et les Identitaires. Le panorama général de référence sur cette, ou plutôt ces extrêmes-droites, reste celui dressé par Nicolas Lebourg et Jean-Yves Camus dans « Les droites extrêmes en Europe » (Seuil). Deux textes complètent le travail de Pierre-François Mansour mentionné ci-dessus dans l’ouvrage coordonné par Bernard Rougier. Il s’agit d’une étude de Nedjib Sidi Moussa sur les militants, intellectuels et artistes décoloniaux. Et d’une analyse de Manuel Boucher «L’universalisme à l’épreuve des anti-mouvements identitaristes », notamment les Indigènes de la République. Confortant le constat fait à plusieurs reprises par Gérard Noiriel : « lorsque le schéma de la lutte des classes s’affaiblit, les schémas identitaires sont relancés : quand le social recule, l’identitaire augmente ».

Les Juifs de France entre République et sionismeCharles Enderlin Seuil

Depuis la parution du livre de Samuel Gilhes-Meilhac « Le CRIF. De la Résistance juive à la tentation du lobby » chez Robert Laffont en 2011, peu d’ouvrages ont traité de l’essor du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF). Charles Enderlin fut le correspondant de France 2 à Jérusalem de 1981 à 2015. Il propose une analyse du passage du franco-judaïsme, acquis au patriotisme républicain, vers le franco-sionisme actuel. Le CRIF est créé en 1944, à la suite du génocide des Juifs d’Europe décrite par Raul Hilberg. Dans sa charte, le CRIF « revendique des garanties constitutionnelles contre toute atteinte au principe d’égalité de race et de religion ». Ainsi que « la liberté d’immigration et de colonisation juives en Palestine ». L’option sioniste devient progressivement prédominante après la guerre des Six Jours en 1967. Se voulant représentant de « la communauté juive dans la cité », le CRIF « règle son compte au franco-judaïsme » selon Charles Enderlin. Celui-ci précise : « Désormais, le CRIF définit l’appartenance du Juif français au peuple juif en Israël et en diaspora. Définitivement pro-sioniste, il demande aux autorités françaises de soutenir l’Etat d’Israël ». La forte proportion d’enfants scolarisés dans des établissements privés juifs et l’indéniable montée de l’antisémitisme confortent cette évolution. Bien que les Juifs critiques soient suspectés de trahison, un collectif international de 127 intellectuels juifs a appelé en 2019 l’Assemblée nationale à s’opposer à une proposition de résolution « assimilant la critique du sionisme à de l’antisémitisme ».

L’Etat d’Israël contre les Juifs. Sylvain Cypel. Editions La Découverte Cahiers libres.

Le titre pourra paraître excessif. Il reprend la thèse de l’historien israélien Tony Judt selon lequel la droitisation de la société aura des effets désastreux à moyen terme aussi bien pour le pays que pour les Juifs en général. Sylvain Cypel a été directeur de la rédaction de « Courrier international » et rédacteur en chef au « Monde ». Son dernier livre illustre la thèse de Tony Judt. L’évolution droitière du gouvernement et de larges pans de la société israélienne est détaillée. La gauche est à son plus bas niveau historique, moins de 10 %. Une droite de plus en plus radicale gouverne le pays depuis près de 40 ans. Elle s’est alliée avec d’autres dirigeants nationalistes tels que Jair Bolsonaro, Narendra Modi, Victor Orbán et bien sûr Donald Trump. En 2018 la Knesset adopte une loi sur Israël « Etat-nation du peuple juif ». Des citoyens israéliens d’origine juive, arabe ou druze, s’insurgent contre cette vision ethnicisante. Quatorze grandes organisations sionistes ou pro-sionistes américaines ont également protesté. Car il existe un courant critique multiforme mais important au sein des Juifs américains. Le chapitre consacré à l’ « aveuglement des Juifs de France » et au suivisme du CRIF est éloquent. L’historien Pierre Birnbaum, connu pour ses ouvrages pondérés sur les Juifs et la République, décrit « une israélisation des Juifs de France ». Les inquiétudes de citoyens refusant de se faire enrégimenter, parfois même au sein des institutions juives, restent peu audibles.

Charles Conte, chargé de mission laïcité à la Ligue française de l’enseignement

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